Dossier de secours de "Eudora" Ihler de Saint-Hilaire, Veuve Boye
1903 - 1906
Marie Calixte Suzanne BOYE |
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Jean Alexandre BOYE |
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"Eudora" IHLER de St H.
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Le dossier de secours va s'avérer d'une très grande richesse, plus pour l'histoire de la famille que pour les éléments purement généalogiques qu'il contient.
Ce dossier se compose d'échanges de courriers, de 1903 à 1906, entre "Eudora" Ihler, veuve Boye, sa fille Suzanne (Marie Calixte Boye), et le Ministère des Colonies.
Une lettre datée du 10 octobre 1903,
a particulièrement attiré mon attention car "Eudora" y décrit précisément son histoire et celle de sa famille.
Dans cette lettre, Eudora nous apprend qu'elle s'est mariée en 1876 avec Jean Alexandre BOYE, que ce dernier est décédé en 1895,
dans une maison de santé, et non au moment de l'éruption du
Mont-Pelé. Elle nous retrace, de manière assez précise, la place que celui-ci, surnommé "papa Boye", tenait dans la société.
Elle nous fait vivre également un moment de sa vie, délicat, nous parle de l'aide qu'elle a obtenue de cousins, les Beuvat de Virginy (ou Buvat de Virginy).
Le lien qui les unit à Eudora est le suivant :
Adrien Pierre Louis IHLER de St H. et Marie Françoise FRANCILLETTE
ont eu au moins 2 enfants :
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Adrien et Louise CLAIRE
ont eu au moins 1 fille :
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Marie Louise et ?
a eu au moins 1 fille :
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Marie Julie Camille "Eudora"
mariée avec Jean Alexandre BOYE |
Marie Madeleine mariée avec Charles Gaston BUVAT de VIRGINY
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Quatre jours plus tard, à la suite de ce courrier, le Ministère des Colonies lui alloue une pension mensuelle de 125 francs pour les quatre derniers mois de l'année.
Cette pension remplace les 100 francs mensuels qu'Eudora percevait jusqu'alors.
Fin novembre, Suzanne Boye, fille d'Eudora, se rend au Ministère afin de solliciter une prolongation de la pension. Cependant, une lettre du 20 janvier 1904,
écrite de la main de Suzanne, nous apprend que cette démarche n'a pas aboutie.
Cette échéance est arrivée
mais malheureusement aucun
emploi ne m’a été trouvé et,
sauf l’abri, nous nous
trouvons exactement dans la
situation primitive et quand je dis
l’abri je devrais dire momentanément car la propriétaire a bien
voulu accepter un demi terme
avec la promesse de le compléter
à la fin du mois de janvier, promesse
qui a été faite dans l’espoir d’avoir
cette prolongation demandée. |
Dans ce courrier, elle exprime les difficultés rencontrées mais aussi la maladie qui touche sa mère :
Ma mère souffre horriblement
de rhumatisme et sa santé est
fort chancelante. |
La réponse du Ministère ne se fait pas attendre :
Séance du 26 janvier 1904
Sur la proposition de M. Lemoine, le Comité alloue à Madame Boye un dernier secours de 150F
Paris, le 26 janvier 1904
Le Président |
Enfin, le 26 janvier 1906, Eudora Ihler fait une dernière tentative auprès du Ministère.
Cinq mois plus tard, le 1er juin 1906, la réponse est sans appel et la demande est rejetée :
Vve Boye
demande de recours
aucun motif nouveau
1 juin 1906
rejet
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La fiche de renseignements, inclue au dossier, m'a permis de démarrer les recherches généalogiques. Cependant, nous le verrons par la
suite, cette fiche est remplie d'erreurs concernant, notamment, la date de naissance d'Eudora, mais aussi l'âge présumé de sa fille Suzanne.
Pourquoi ces informations erronées ? S'agit-il d'une simple erreur administrative ?
Eudora peut-elle ne pas connaître la date exacte de sa naissance ? Que s'est-il passé le 19 juillet 1857 ? Je n'ai pas, à ce jour, les réponses à ces
questions mais je ne désespère pas !
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le dossier complet de la demande de secours est consultable
courrier du 10 octobre 1903
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Paris, 10 octobre 1903
A son Excellence
Monsieur le Ministre des Colonies
Monsieur le Ministre
J’ai l’honneur de solliciter de
votre haute bienveillance une aide dans la
misère où m’ont plongée successivement
les évènements que je vous demande la
permission de vous exposer.
Née à la Martinique d’une famille
riche (famille de Saint-Hilaire), je me marie
en 1876 à monsieur Alexandre Boye qui
était alors conseiller municipal de l’Île
et qui comme négociant tout comme conseiller
municipal et avant tout simple particulier avant
d’être nommé, il contribua toujours de tous ses
efforts au développement de l’île. Avant
l’organisation du pays par la République,
il créa des écoles dont il subventionna de
ses propres deniers les instituteurs et institutrices.
Le gouvernement de la troisième
République lui envoya des félicitations de
reconnaissance des services rendus. Nommé
Maire, il décline cette offre mais ne s’occupe
pas moins des misères à soulager, ce qui le
fit surnommer « papa Boye » par les miséreux
qui venaient nombreux et jamais en vain
frapper à sa porte.
Mon mari occupait une fort belle situation,
tout semblait donc nous assurer un avenir
heureux dans l’aisance. De notre union
naquit une enfant que nous envoyâmes en
France faire ses études.
En 1890, l’incendie de Fort de France
détruisit toute la ville et en vingt quatre
heures tous nos biens disparurent (…)
(…) bijoux et du linge placés dans une villa
que nous possédions alors en dehors de la ville.
Avec l’aide du gouvernement, mon mari
se remit courageusement à l’ouvrage mais au
bout de quatre mois le cyclone vint de nouveau
détruire ce qu’un latent optimisme avait créé et
qui commençait à prospérer.
A la suite de ces évènements douloureux, deux
fois en un an nous revenant successivement,
mon pauvre mari tomba malade et finit ses
jours dans une maison de santé en 1895.
Depuis ce temps, je vins à Paris avec ma fille
qui naturellement dut travailler. Nous vécûmes
de son maigre salaire et de quelques bijoux et linge
que j’ai pu sauver ainsi que tout le reste du mobilier
ne gardant comme linge que le plus strict nécessaire.
A plusieurs reprises même des cousins au nombre
de cinq se réunissaient pour nous venir en aide,
nous envoyant par l’intermédiaire de monsieur
Lapeyre de Saint-Pierre et qui a péri lors de la
catastrophe, cousin de monsieur Déclemy habitant Saint-
Maur, 17 rue Caroline, et commissionnaire.
Ce dernier nous remettait ses subsides, variant
entre 300 et 400 tous les trimestres. Ces cousins
Beuvard de Virginy furent aussi victimes du (…)
de sorte que depuis de longs mois que ma fille
est sans travail ne recevant plus aucune aide,
nous vivons dans la misère la plus noire.
Recueillies par des amis obligeants mais
pas fortunés qui d’ailleurs vont quitter Paris
et forcément nous laisser par leur impuissance
sans asile, c’est alors que ne sachant plus
à qui m’adresser, j’ai songé à la grande
sollicitude du gouvernement pour des colons malheureux,
espérant que ma misère pourrait vous apitoyer,
que les services autrefois rendus par mon
mari seraient des titres pour accréditer ma
requête auprès de vous.
Je me suis donc rendue au ministère
où, après l’exposé de mon infortune, on me
remit un secours immédiat de 100 f. me
permettant de prendre un logement et de
parer aux premières nécessités.
Nous avons donc employé cet argent à travers
un modeste local de 250 francs mais sans meuble
ayant sacrifié jusqu’à ma literie sauf
un matelas, nous n’avons donc que l’abri.
En ce moment, ma fille sollicite un
emploi auprès de monsieur le ministre du
commerce et de l’agriculture, postes plus
sûrs que ceux du commerce où elle avait
été employée, mais moi,
dans l’impossibilité
matérielle de travailler pour gagner ma vie,
ces secousses renouvelées ayant altéré ma santé.
J’implorerai donc, Monsieur le Ministre,
de votre haute bienveillance, une légère pension
qui soulagerait ma fille dans sa tâche de
subvenir aux besoins de toutes deux si toutefois,
qu’ayant de suite une occupation, elle pourrait
le faire.
Confiante en votre sollicitude, j’ai
espéré, Monsieur le Ministre, que vous accueillerez
favorablement ma requête et que vous donnerez une
suite selon mes désirs.
Croyez à toute ma reconnaissance et
daignez agréer les sentiments de mon profond respect.
Vve A. Boye 51 r Censier
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courrier du 26 janvier 1906
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Monsieur le Ministre des Colonies
Monsieur le Ministre,
Je viens faire appel à votre bienveillance
vous priant de vouloir bien vous intéresser
à ma pénible situation.
Les détails, aussi bien que les renseignements
que je pourrais vous donner sont déjà
connus au ministère des colonies qui lors
du dernier sinistre de la Martinique
avait agréé ma demande d’un secours.
Cependant, Monsieur le Ministre, sans
trop abuser de vos instants, il serait
peut-être urgent que je vous informe
de nouveau que je suis veuve sans nulle
ressource, ayant été incessamment victime des
catastrophes qui ont frappé notre chère Martinique.
Je suis en ce moment souffrante, ne pouvant
pour l’instant travailler.
Depuis un an,
j’habite Tours à la charge de mon gendre
dont la famille augmente, qui ne peut rien
pour moi ce qui me cause le plus profond
chagrin. Je me vois donc, Monsieur le Ministre,
en face cette pénible situation, contrainte de nouveau
à frapper à la porte de votre cœur si
compatissant (dit-on) pour ceux des colonies
dont vous êtes le représentant qui sans doute
prendra en considération la demande que je vous
adresse d’un secours qui me permettrait
de pourvoir aux premières nécessités que
réclame ma triste situation.
Dans cette espérance, veuillez
agréer, Monsieur le Ministre, mes
sincères salutations.
Vve A. Boye
au 61 bis rue St Paul
Tours
Indre et Loir
26 janvier 1906
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